Samizdat 2020

David Samuels à propos de la fiction au vingt-et-unième siècle, et de la prochaine génération de samizdats.


"Je pense qu’il y a aujourd’hui une très grosse pression qui pousse la fiction à servir de technologie de gouvernement ou d’instrument d’ingénierie sociale et nous avons vu qu’auparavant l’Union Soviétique l’avait utilisé pendant des décennies, via le réalisme socialiste ; l’image de l’écrivain pris dans sa datcha comme membre de l’union des écrivains était destinée à formuler une image positive de la révolution socialiste. Combien de ces écrivains lisons-nous encore désormais ? Aucun. Nous lisons les livres qui circulaient dans le samizdat, qui se passaient de la main à la main, qu’il s’agisse de Boulgakov ou de Soljenitsyne. Et j’ai utilisé plus tôt dans l’entretien le mot samizdat à dessein : je pense que nous connaîtrons une époque – c’est assez facile de le concevoir dans mon esprit à la manière de Don DeLillo – où des textes seront mis en circulation par des romanciers et des écrivains, que ces textes aient ou non la forme du roman ou la forme de la narrative non-fiction, qu’en tout cas dans ces textes s’épancheront ces idées interdites, et que le langage y sera une révolte contre la langue agréée et les représentations plébiscitées.

Ces œuvres auront du mal à se tailler une place dans le marché mais elles pourvoiront à un besoin humain fondamental qui permettra aux personnes de les utiliser pour donner sens à leur vie et pour comprendre les connexions à autrui, leur gouvernement, la société dans laquelle ils vivent et de comprendre ce qu’ils ressentent même si leurs sentiments et pensées subissent les pressions des histoires officielles. Pour moi, l’importance des écrivains, des histoires et des raconteurs est capitale. Et tout particulièrement les écrivains qui ne sont pas assujettis à l’État et qui ne se comportent pas comme se comportaient les représentants du réalisme socialiste et qui souhaitent montrer les contradictions, la douleur, l’humour et la nature transgressive de leur personnalité. Je pense que nous vivons une époque terriblement excitante pour les écrivains puisque je crois que la porte est ouverte à l’écriture plus qu’à la composition de marchandises et de performances élitistes, pour redevenir vraiment vivant. Quand on essaye de faire taire les écrivains, de les assassiner ou quoi que ce soit d’autre, ce sont les moments où vous savez que ce que vous faites est particulièrement important."

–  David Samuels, https://aoc.media/entretien/2018/09/29/david-samuels-reseaux-sociaux-ont-totalement-detruit-presse-institution/

Photo: Samizdat polonais de La ferme des animaux, https://bellacaledonia.org.uk/2012/11/05/animal-farm-samizdat/

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