Compulsions, précarité & fluides corporels

 












Rapide présentation d'Ottessa Moshfegh, récemment parue dans le quatrième numéro de Psycho Disco.

 
À 37 ans, Ottessa Moshfegh s’est déjà mis dans la poche toutes les publications sérieuses, de la Paris Review au Believer en passant par le New Yorker, Granta, la White Review ou Electric Literature. Encensée par John Waters et Brett Easton Ellis, le silence qui l’entoure dans l’Hexagone est assourdissant. Si son roman Eileen a bien été traduit par Fayard – avec une couv’ qui loupe sa cible, comme trop souvent chez les "gros" éditeurs français – il n’en est rien de son recueil de nouvelles Homesick for another world, pourtant si dévastateur que je suis tenté de le racheter chaque fois que j’en croise un exemplaire. Avec son titre qu’on pourrait traduire approximativement par « Nostalgique d’un autre monde », et sa couverture arborant une soucoupe-volante en forme de 33 tours, ce recueil est une leçon de narration pour tous les scribes du 21ème siècle – ceux qui ont grandi avec le wi-fi illimité, les boulots merdiques, la défonce, les médocs, les rêves piétinés et la culpabilité pré-apocalyptique. La plupart de ces nouvelles se passent dans de petites villes ricaines et mettent en scène des humains esseulés, souvent à la limite du détestable, qui racontent l’étrangeté du quotidien avec la froideur de médecins légistes. Dans un couvent, une prof alcoolique cause sodomie avec ses élèves. Un homme enfonce son poing dans la bouche d’une femme avec qui il couche pour la première fois, et quitte la chambre sans un mot. Une nuit d’orage, un retraité tente de séduire sa jeune voisine. Un peu partout, d’étranges pratiques sexuelles. Deux gamins jumeaux tentent de rejoindre la planète d’où ils viennent, sans savoir où elle se trouve. Une enfant parle de sa mère en l’appelant « la Dame ». La voix des narrateurs est froide et distante. Aucune épiphanie ne les attends. Pas de résolution. Pas de morale. Juste l’indifférence du cosmos. Avant d’être « bizarres » ces nouvelles sont « réalistes ». (Ou transréalistes ?) Le monde qu’elles explorent – tout en compulsions, précarité et fluides corporels – est celui de notre modernité, ou plus précisément des marges de cette modernité, loin des caméras, des réseaux sociaux, du travail-famille-patrie et du storytelling toujours moins convaincant que tente de nous refourguer une « société du spectacle » à bout de souffle. Son dernier roman, My year of rest and relaxation, est également recommandé... En attendant une traduction française ?

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