Conscience acide


Par Mark Fisher 


Le problème clé du capital, qui avait été particulièrement mis en évidence par la contre-culture, c’est comment ramener les gens au travail. La contre-culture avait placé au cœur de son discours la détestation du travail: il ne fallait plus de lundis misérables pour personne. L’idée que "je n’ai pas l’intention de travailler et que je dois cesser de m’inquiéter" était l’élément clé de la contre-culture. Ce que craignaient les capitalistes, c’était que la classe ouvrière devienne hippie sur une large échelle, et c’était un danger sérieux.
 
(...) La conscience psychédélique est l’une des formes de conscience qui s’est développée le plus fortement, en combinaison avec les autres, dans les années 1968. Il nous faut repenser au caractère particulier du monde de ces années-là. Il s’agit d’une forme de conscience qui se rattache clairement à l’usage des drogues hallucinogènes, spécifiquement du LSD, de « l’acide », mais qui s’est répandue bien au-delà de celles et ceux qui y avaient eu recours. Il s’agit d’une relation entre expérience et pensée, véhiculée notamment par les Beatles – et rien n’a été plus populaire que les Beatles –, visant à encourager les gens à faire un maximum d’expérimentations.

Pour la conscience psychédélique, la notion clé c’est la plasticité de la réalité, donc exactement le contraire de sa fixité, de sa permanence ou de son immuabilité, qui ne nous laisserait le choix que de nous y adapter, comme le veut le réalisme capitaliste. Que vous aimiez cela ou non, on ne peut rien y faire, et il faut donc s’y résigner. Ainsi, les choses sont ce qu’elles sont, et elles ne peuvent qu’empirer. Vous voulez garder votre job, vous devez accepter un horaire de travail plus long, plus de responsabilités. Vous n’aimez pas ça? Personne n’aime ça, mais il faut l’accepter. Le patron qui aménage ce genre de solutions est le prototype même du manager au stade actuel du capitalisme.

Ce type de fatalisme, de résignation, si répandus, et dont personne n’est vraiment responsable parce qu’il est produit à un niveau systémique, vise à éliminer toute conscience de la plasticité du réel. Or, c’est évidemment à cette extraordinaire plasticité des choses que les «trips» à l’aide de drogues psychédéliques renvoyaient, extrayant leurs usager·e·s de la réalité dominante du moment en la montrant comme provisoire, comme une forme possible d’organisation du réel. Bien entendu, l’usage répandu de ces drogues ne conduisait pas à la révolution, mais il suscitait une sorte d’impatience. Avec la contre-culture des années 60, on pouvait s’évader très vite de la réalité dominante, et estimer que l’ordre établi n’allait pas durer, et que des voies nouvelles s’ouvriraient.

Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de patience révolutionnaire, alors que dans cette période, c’est l’impatience qui dominait. Toutes les structures historiques stratifiées qui avaient dominé la vie humaine jusqu’ici pouvaient être dissoutes en l’espace d’une génération. Pourtant, cela n’a pas été le cas, parce qu’elles étaient beaucoup plus tenaces. De son côté, la droite a misé sur les plus nocives de ces structures, qui se sont imposées, et qui nécessiteront un long procès pour être démantelées. (...)

Extrait de http://revueperiode.net/acid-communism-drogues-et-conscience-de-classe/

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