Trois actes & un MacGuffin

Ça n'aura pas mis longtemps - suite à la lecture de l'essai évoqué dans ce post, j'ai re-maté Blue Velvet hier.


Ces temps-ci en atelier, on travaille la structure, et même si c'est loin d'être la seule chose ardue dans le monde impitoyable de la fiction, je dois dire que j'en chie. Oh j'apprends, c'est sûr, j'assimile petit à petit, mais la différence est grande entre compréhension et mise en pratique efficace. On nous avait pourtant prévenu, en février: "Là on entre dans l'étape de l'année où vous allez vous réveiller en pleine nuit avec le besoin impérieux de prendre des notes". Hurlements optionnels?

Du coup, à force de me casser les dents sur l'incontournable structure en 3 actes (ou 4, c'est sensiblement la même chose: certains utilisent le terme "structure en 3 actes" avec l'acte du milieu coupé en deux, tandis que d'autres l'appellent directement "structure en 4 actes", ce qui parait plus logique jusqu'à ce que l'on comprenne que "début/ milieu/ fin" est plus facile à retenir que "début/ milieu/ retournement/ milieu bouleversé/ fin") j'en viens à tout regarder en terme de structure: ma vie, mes journées, la pause de midi, les livres, les films. Blue Velvet n'a pas fait exception.

En deux-trois clics je suis tombé sur ce énième guide ricain de creative writing, selon lequel la structure en 3 actes de Blue Velvet est la suivante:

  • Acte 1: L'univers narratif et la situation initiale sont posés, puis l'on va de l'élément déclencheur (l'oreille trouvée dans le pré par Jeffrey) au vol de la clé dans l'appartement de Dorothy. 
  • Acte 2: Du vol de la clé à l'arrivée d'une Dorothy nue et ensanglantée chez les parents de Jeffrey - le long milieu, durant lequel les relations de Jeffrey à Dorothy et Sandy s'approfondissent en parallèle de son exploration des bas-fonds/ de la face cachée de l'Amérique/ de ce qui grouille sous la surface comme les insectes si subtilement dévoilés en début d'acte 1.
  • Acte 3: La résolution, de l’arrivée de Dorothy nue et ensanglantée sur le palier de Jeffrey à l'ironique happy-end. 

J'ai également appris que l'oreille coupée, non contente d'être est un élément déclencheur, est également un MacGuffin, c'est à dire "un objet matériel et généralement mystérieux, dont la description est vague et sans importance", et qui "entraine le héros dans moult péripéties, si bien que l'objet lui-même perd de son importance et est vite oublié." L'expression MacGuffin a été inventée par Hitchcock, comme nous l'explique cette page Wikipédia. D'autres exemples de MacGuffin:  l'attaché-case dans Pulp Fiction,  le diamant dans Snatch, le crâne de cristal dans Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal.  

Et maintenant, quelques questions autour de la structure de Blue Velvet:

  1. Pourquoi l'oreille coupée est-elle l'élément déclencheur, et pas l'arrêt cardiaque du père de Jeffrey? 
  2. En quoi le vol de la clé fait-il basculer l'histoire dans son deuxième acte? 
  3. Quel est le renversement du milieu d'acte 2? 
  4. En quoi l'arrivée de Dorothy sur le pas de la porte de Jeffrey représente-t-elle le début de la fin?

==> Tentatives de réponses:

1.  Parce que l'arrêt cardiaque du père de Jeffrey, en soit, ne lance pas l'histoire - la suite ne découle pas de lui. Il sert juste à faire revenir Jeffrey dans la ville de son enfance, mais c'est l'oreille coupée qui vient perturber cette situation initiale et lui faire perdre son équilibre. Sans elle, Jeffrey aurait très bien pu continuer son séjour tranquillement jusqu'au rétablissement de son père, et repartir sans rien avoir vécu d'excitant.

2. Avant le vol de la clé, il est encore possible de revenir en arrière. Mais une fois que Jeffrey la possède, il lui est impossible de ne pas retourner chez Dorothy car, comme nous l'avons vu depuis que l'oreille coupée l'obsède, l'une des principales caractéristiques de Jeffrey est sa curiosité.

3. J'ai oublié mes notes chez moi, mais il me semble que c'est lorsque Frank (Dennis Hopper) surprend Jeffrey chez Dorothy.

4. Parce qu'elle représente la goutte qui fait déborder le vase pour Dorothy, qui demande de l'aide à Jeffrey, ce qui entraine la confrontation finale et la résolution de l'histoire. Accessoirement, c'est aussi le moment de la rencontre entre les deux mondes de l'histoire du point de vue de Jeffrey: celui de Dorothy et celui de Sandy, ou si on veut, l'underground et le mainstream, les bas-fonds et la parfaite suburb, l'irruption de l'étrange dans le domaine du normal non plus de façon sous-entendue mais de façon explicite, etc.

Sur ce, il va falloir que je bosse un peu. 

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