Dans le style du napalm

Premier roman du canadien Jason Hrivnak, La Maison des Épreuves est paru en janvier aux Éditions de l’Ogre, spécialisées dans la « littérature de l’irréalité ».


La Maison des Épreuves, c’est un QCM onirique dont les réponses ne sont pas fournies ; un Livre dont Vous êtes le Héros halluciné et labyrinthique, dont le but n’est pas de trouver la sortie. Le but, c’est le chemin parcouru ; le temps passé à résoudre les énigmes menant à la prochaine porte. Ce labyrinthe, le narrateur l’a conçu à la fois comme « passe-temps » (au sens le plus terrible que puisse revêtir le terme) et comme cure à l’autodestruction de son amie d’enfance, dont le suicide constitue l’entrée du labyrinthe et le sauvetage sa sortie.

« Le but de la Maison des Épreuves consiste à infliger aux sujets les épreuves mêmes qu’ils n’ont pas la force d’âme de s’infliger eux-mêmes. »

Le roman peut se voir comme une lettre à la suicidée. Si le narrateur pouvait revenir en arrière, il poserait le manuscrit dans la pièce où elle s’est tranché les veines. Que se passerait-il alors ? La réponse pragmatique est que la jeune femme ouvrirait le livre plutôt que ses veines ; elle pénétrerait dans le labyrinthe et, avant de fumer sa dernière cigarette, devrait en résoudre les énigmes. De façon concrète, cela donnerait le temps aux secours d’arriver ; de façon abstraite, cela reviendrait pour elle à faire face aux démons qui l’assaillent depuis toujours, en reprenant le projet d’écriture à quatre mains qui avait sauvé son enfance.

« Vous scrutez le trou obscur, puis vous vous laissez tomber dedans. L’obscurité vous accepte telle une vieille maîtresse. Dans l’excitation de la chute, vous vous rappelez votre serment d’enfant, oublié depuis longtemps, comme quoi vous seriez toujours une jouisseuse, que vous chéririez par-dessus tout ce qui est pur et extrême. »

Car La Maison des Épreuves peut aussi se lire comme une histoire d’amour entre deux enfants-parias ayant entrepris un projet d’écriture commun. Un jour la vie les sépare et mets fin au projet. Privée du refuge de l’imagination, la jeune fille se lance dans une méticuleuse entreprise d’autodestruction ; sourde « aux plaisirs ordinaires », elle devient « adepte de l’excès ». Le narrateur, lui, accepte « ce cancer qu’est le célibat » ; des années plus tard, lorsqu’il apprends le décès de sa camarade, il reprends leur projet d’écriture et comprends que seul ce dernier aurait pu sauver son amie.

« L’obscurité est une chose tactile. Elle pèse sur vous comme la pression de l’eau, elle s’écoule dans vos poumons comme les vapeurs d’une lointaine étoile. »

C’est donc un roman sur le pouvoir salvateur de l’imagination, mais pas de n’importe quel genre ; une imagination qui constitue un abîme dans lequel il faut se jeter pour survivre. Chacun des paragraphes est comme le pitch d'un récit qu’auraient pu écrire Kafka ou Burroughs, un rêve mutant toujours en cauchemar. Même les rares situations réalistes y sont transpercées de dissonances sensorielles. On y croise un tapis volant imbibé de drogues hallucinogènes, un carrousel fou, des tatouages magiques, un enfant « triste et maussade » brûlant une petite fille « avec une sorte de gélatine, dans le style du napalm. » Il y a aussi des meurtres dans des bordels, des amnésies réparatrices, des sectes, des sorcières riant sous un ciel violet où brille la « constellation du Charognard. »

« Les dénouements heureux sont laids et dangereux parce qu’ils dépouillent le monde de ses miracles. Tous les enfants le comprennent. Ceux qui acceptent le confort terne des dénouements propres et heureux n’agissent ainsi que parce que les miracles sont souvent inextricablement liés à des choses horribles. »

La « maison », c’est le livre ; les « épreuves », ce sont chacun de ses paragraphes. Passée la porte d’entrée, on est d’abord désorienté par la structure de l’édifice. Mais si la forme fragmentée du roman justifie sa comparaison avec la Foire aux atrocités de J.G Ballard, la méthode que l’auteur anglais préconisait pour aborder son ouvrage (« Au lieu de commencer chaque chapitre par son début, contentez-vous d’en tourner les pages jusqu’à ce qu’un paragraphe retienne votre attention ») ne semble pas s’appliquer ici. Vers le milieu du roman, on commence à comprendre que malgré les apparences l’histoire possède une trame logique ; qu’une lecture en ordre aléatoire n’aurait sans doute pas l’effet escompté. Le livre n’en est pas moins criblé d’échos, de résonances ; lecture chronologique ou pas, on finit par revenir en arrière pour vérifier des intuitions, et cet aspect ludique transforme le lecteur, à son tour, en victime consentante du labyrinthe.

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(Roman traduit de l'anglais par Claro, auquel on souhaite force et courage dans son combat avec le gargantuesque Jérusalem d'Alan Moore)

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